Appelle-Moi Poésie : Lia Liqokeli. Traduit du géorgien par B. Chabradzé ლია ლიქოკელი, ბაჩანა ჩაბრაძე
12/07/2020
B. Chabradze ბაჩანა ჩაბრაძე-ის
მიერ
« Je veux que ma mère se marie », poème de Lia Liqokeli (du recueil \"Les femmes (se) racontent\", OIF 2017), traduit du géorgien par B. Chabradzé. Enregistré par \"Appelle-Moi Poésie\". Lecture par Diane Atréides. Réalisation et mixage par Sébastien Girard. Montage et habillage par Bénédicte Bontemps. Source : • Appelle-Moi Poésie | Rien à voir - Li...
\"მინდა, დედაჩემი გათხოვდეს\", ლია ლიქოკელი (კრებულიდან \"ქალები ჰყვებიან\", ფრანკოფონიის საერთაშორისო ორგანიზაცია 2017). თარგმანი ქართულიდან ფრანგულად: ბაჩანა ჩაბრაძე. ჩაწერილია პოეზიის ფრანკოფონური ვებსერიის ფარგლებში \"მიწოდე პოეზია\". კითხულობს დიან ატრეიდესი, რეჟისორი - სებასტიან ჟირარი, მონტაჟი - ბენედიქტ ბონტამი. წყარო: • Appelle-Moi Poésie | Rien à voir - Li...
Lia Liqokeli
(Traduit du géorgien par B. Chabradzé)
Je veux que ma mère se marie
Je veux que ma mère se marie,
Qu'elle prenne ses chaussons, sa robe à pois et qu'elle parte.
En son absence, le silence du lever du jour nous sortira vite de nos lits.
Nous nous alignerons, mon père, mon frère et moi,
Tels les rêves déterrés de l’oreiller de ma mère,
Et nous compterons les objets un par un.
Le miroir racontera comment elle a mis du rouge sur ses lèvres amincies, pincées,
A chassé, d'un coup de main, les rides agrippées à ses yeux comme des guêpiers,
A ri et est partie.
Nous marcherons d'une chambre à l'autre et nous nous heurterons à chaque seuil.
Nous ouvrirons tous les placards, nous fouillerons toutes les étagères.
Et nous dirons : elle s'est mariée.
Dans la cour sans ombre, trois amas d'écales de tournesol pousseront avant le soir.
Une armée de tasses à café sales nous encerclera.
Mon père perdra ses cheveux et sa barbe blanchira.
Mon frère et moi aurons les cheveux et les ongles
Qui pousseront à une vitesse étonnante.
Grandiront les cactus de silence,
Aux épines de reniflements et de déglutitions.
La maison fera froufrouter les arbustes de toiles d’araignée
Poussés comme les cheveux de ma mère, bons à être teints,
Les branches de viorne restées aux coins des fenêtres
Tels les anneaux en or ayant vieilli sur les oreilles de ma mère,
Et nous creusera des trous, par paires, dans les murs
Pour y reposer nos yeux humides.
Je me lèverai en traînant avec moi la douleur des plantes des pieds de ma mère,
Ses articulations brisées, son visage flétri.
J'effacerai du miroir son dos marié,
Je casserai son peigne en trois.
Puis, nous nous attablerons dans la cuisine.
Mon père se lavera les mains pleines de ma mère,
Au tamis de ses yeux passeront les trente années avec elle et il essaiera
De nous distribuer, telle une salade aux choux sans sel oubliée au frigo,
L'histoire inventée de leur amour.
Nous nous mettrons d'accord pour aérer, chacun notre tour,
Son odeur accrochée dans l'armoire entre paletots et vestes,
Ses pleurs, rabougris comme des kakis séchés
Restés entre les tchourtchkhelas1 enroulés dans une toile.
Nous nous mettrons d'accord pour ne pas décrocher de la corde à linge,
Avant l'automne,
Les draps étendus par elle,
Tant que le soleil n'y aura pas définitivement brûlé les traces de ses mains.
Nous nous mettrons d'accord pour dire
Qu'il aurait été bien qu'elle nous laisse la moitié d'elle-même
Que nous aurions attachée à une de ces poignées de porte rouillées
Pour la taillader avec les couteaux de cuisine mal aiguisés
Et tout lui faire dire de nous,
Ce que nous cachent les miroirs, en complot avec elle,
Et les mots enterrés sous sa langue.
Enfin, nous nous distribuerons des marteaux,
Nous nous tournerons le dos
Et nous nous enfoncerons des clous
Entre les yeux
Pour y accrocher le mariage de ma mère.
Puis, nous composerons une carte de vœux :
Mon père taillera un crayon,
Mon frère dessinera des fleurs sur la feuille,
Moi, j'écrirai :
Nos félicitations.
Nous sommes ravis que tu te sois mariée.
Tous nos vœux de bonheur, maman.
\"მინდა, დედაჩემი გათხოვდეს\", ლია ლიქოკელი (კრებულიდან \"ქალები ჰყვებიან\", ფრანკოფონიის საერთაშორისო ორგანიზაცია 2017). თარგმანი ქართულიდან ფრანგულად: ბაჩანა ჩაბრაძე. ჩაწერილია პოეზიის ფრანკოფონური ვებსერიის ფარგლებში \"მიწოდე პოეზია\". კითხულობს დიან ატრეიდესი, რეჟისორი - სებასტიან ჟირარი, მონტაჟი - ბენედიქტ ბონტამი. წყარო: • Appelle-Moi Poésie | Rien à voir - Li...
Lia Liqokeli
(Traduit du géorgien par B. Chabradzé)
Je veux que ma mère se marie
Je veux que ma mère se marie,
Qu'elle prenne ses chaussons, sa robe à pois et qu'elle parte.
En son absence, le silence du lever du jour nous sortira vite de nos lits.
Nous nous alignerons, mon père, mon frère et moi,
Tels les rêves déterrés de l’oreiller de ma mère,
Et nous compterons les objets un par un.
Le miroir racontera comment elle a mis du rouge sur ses lèvres amincies, pincées,
A chassé, d'un coup de main, les rides agrippées à ses yeux comme des guêpiers,
A ri et est partie.
Nous marcherons d'une chambre à l'autre et nous nous heurterons à chaque seuil.
Nous ouvrirons tous les placards, nous fouillerons toutes les étagères.
Et nous dirons : elle s'est mariée.
Dans la cour sans ombre, trois amas d'écales de tournesol pousseront avant le soir.
Une armée de tasses à café sales nous encerclera.
Mon père perdra ses cheveux et sa barbe blanchira.
Mon frère et moi aurons les cheveux et les ongles
Qui pousseront à une vitesse étonnante.
Grandiront les cactus de silence,
Aux épines de reniflements et de déglutitions.
La maison fera froufrouter les arbustes de toiles d’araignée
Poussés comme les cheveux de ma mère, bons à être teints,
Les branches de viorne restées aux coins des fenêtres
Tels les anneaux en or ayant vieilli sur les oreilles de ma mère,
Et nous creusera des trous, par paires, dans les murs
Pour y reposer nos yeux humides.
Je me lèverai en traînant avec moi la douleur des plantes des pieds de ma mère,
Ses articulations brisées, son visage flétri.
J'effacerai du miroir son dos marié,
Je casserai son peigne en trois.
Puis, nous nous attablerons dans la cuisine.
Mon père se lavera les mains pleines de ma mère,
Au tamis de ses yeux passeront les trente années avec elle et il essaiera
De nous distribuer, telle une salade aux choux sans sel oubliée au frigo,
L'histoire inventée de leur amour.
Nous nous mettrons d'accord pour aérer, chacun notre tour,
Son odeur accrochée dans l'armoire entre paletots et vestes,
Ses pleurs, rabougris comme des kakis séchés
Restés entre les tchourtchkhelas1 enroulés dans une toile.
Nous nous mettrons d'accord pour ne pas décrocher de la corde à linge,
Avant l'automne,
Les draps étendus par elle,
Tant que le soleil n'y aura pas définitivement brûlé les traces de ses mains.
Nous nous mettrons d'accord pour dire
Qu'il aurait été bien qu'elle nous laisse la moitié d'elle-même
Que nous aurions attachée à une de ces poignées de porte rouillées
Pour la taillader avec les couteaux de cuisine mal aiguisés
Et tout lui faire dire de nous,
Ce que nous cachent les miroirs, en complot avec elle,
Et les mots enterrés sous sa langue.
Enfin, nous nous distribuerons des marteaux,
Nous nous tournerons le dos
Et nous nous enfoncerons des clous
Entre les yeux
Pour y accrocher le mariage de ma mère.
Puis, nous composerons une carte de vœux :
Mon père taillera un crayon,
Mon frère dessinera des fleurs sur la feuille,
Moi, j'écrirai :
Nos félicitations.
Nous sommes ravis que tu te sois mariée.
Tous nos vœux de bonheur, maman.